lundi 9 décembre 2013

La criminalisation de l'immigration

Le Canada est une terre d'immigration depuis sa colonisation, signataire du traité de Genève sur les réfugiés.  Mais depuis 1970, de nouvelles lois criminalisent l'immigration irrégulière.  Le migrant est vu comme menace à la sécurité : terrorisme, trafic d'armes ou de drogues, activités mafieuses.  On réagit en filtrant les arrivants.  (Dans quelques années, la sortie du Canada pourrait être conditionnelle à une entrevue pour s'assurer que la personne est autorisée à sortir du Canada).  Des murs ont été érigés pour prévenir l'émigration des pays communistes ou totalitaires; maintenant des murs différents bloquent l'entrée irrégulière des États-Unis, de l'Europe.  Entre le Canada et les États-Unis, on parle de frontière intelligente, qui permet le commerce et le tourisme mais fait échec aux menaces de sécurité et à l'immigration irrégulière.

En matière d'immigration, on emprunte à la justice criminelle les mesures de controle punitif mais sans les garanties procédurales sencées les accompagner. En pratique, l'accès aux tribunaux est préférable aux négociations avec les fonctionnaires de l'immigration.  Les immigrants illégaux et les résidents temporaires peuvent être arêtés, détenus et expulsés par l'agence des services frontaliers du Canada à sa discrétion.  Les circonstances et les preuves n'ont pas besoin d'être prouvés hors de tout doute raisonnable, ils doivent être crédibles aux yeux de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
Il y a trois centres de détention pour immigrants au Canada: le plus grand a 3 étages et est situé au 385 Rexdale, Toronto; le Centre de Prévention de l'Immigration à Laval dispose d'une centaine de lits; et dans un sous-sol de l'aéroport de Vancouver un centre de court séjour de 24 lits est aménagé. Ailleurs au Canada ou quand quand les centres de détention débordent, les prisons provinciales sont utilisées.  Les statistiques les plus récentes disponibles (2011-2012) nous informent que sur 18,000 contrôles de la Section de l'immigration, 81% sont restés en détention, 12% ont été libérés sous certaines conditions, 1 % ont eu leurs conditions modifiées et seulement 6 % ont été libérés sans condition.  Une même personne peut être assujetie à plusieurs de ces contrôles car ils sont requis dans un délai de 48 heures puis une semaine, enfin tous les mois.  La section de l'immigration mène aussi des enquêtes pour déterminer si quelqu'un devrait rester au Canada.  En 2011-2012, 71% des 2900 enquêtes aboutissent par un renvoi, 4% donnent la permission d'entrer ou de rester au Canada, 7% font l'objet de retrait de l'interdiction de résidence et 16% des dossiers sont fermés parce que l'intimé ne s'est pas présenté à l'audience.  Les pourcentages sont simillaires depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, en 2001.  44,000 personnes sont recherchées par les autorités d'immigration.
Un demandeur d'asile sur trois est détenu dans une institution carcérale.  Seulement 6% d'entre eux sont détenus parce qu'ils constituent une menace.
Dans les centres de surveillance de l'immigration, il n'y a pas d'activités disponibles, sauf la télévision et quelques jeux de société.  Les hommes sont séparés des femmes et les mères de jeunes enfants peuvent rester avec leurs enfants.  Des services médicaux de première ligne sont disponibles mais pas des services de santé mentale.  Dans son étude, Janet Cleveland compare la santé des demandeurs d'asile détenus (à Rexdale ou Laval) à celle des demandeurs d'asile non-détenus.
Le pourcentage de répondants présentant des symptomes au-dessus d'un même seuil critique sont les suivants:
détenus: stress post-traumatique:32 %. dépression:78 %, anxiété:63 %
non-détenus:stress post traumatique:18 %, dépression:52%, anxiété:47%
Les demandeurs d'asile se plaignent du régime strict auquel ils sont soumis.  Par example, l'un d'eux a été placé en ségrégation parce qu'il ne voulait pas se lever à 6h30 au lendemain de son arrestation.  Les longues interrogations répétées sont rapportées par les demandeurs d'asile qui sont surpris d'être enfermés dans un pays qu'ils croyaient libre.  Depuis la fin juin 2012, la Loi visant à protéger le système d'immigration canadien C-31) permet la détention sans revision pendant 14 jours, puis tous les 6 mois des groupes irréguliers.  Les passagers du Sun Sea, qui déverse 492 Sri-Lankais tamouls, ont été emprisonnés une moyenne de 5 mois.
En Australie, où une mesure semblable à la loi C31 est en vigueur, 1100 réfugiés sur 6000 se sont mutilés (Barlow,  2011 accepted refugee commits suicide in detention, www.abc.net.au/news/2011-10-26/approved-refugee-commits-suicide-in-detention/36026087?section=nsw
Les réfugiés étaient portés par l'espoir d'habiter dans un pays où ils seraient libres, respectés et en sécurité.  Des solutions moins contraignates que l'incarsération comme le logement supervisé, l'obligation de vivre à une adresse désignée,ou comme on le voit en Suède (Crawley H.et Lester T, 2005 No place for a child : children in UK immigration detention, impacts, alternatives and safeguards : Save the children) l'hébergement communautaire, devraient être étudiées.  Les dispositions de la loi C-31 risquent d'entrainer des dommages graves à la santé mentale des réfugiés, surtout quand la liberté est suivie de 5 ans de statut temporaire, sans possibilité de réunification familiale.
Le Canada a ratifié en 2002 le Protocole contre le trafic et le protocole contre la traite de personnes.  Les peines et amendes peuvent atteindre 1,000,000 $ plus la confiscation des biens et l'emprisonnement à vie pour l'organisation de passages clandestins.  Dans les faits, les peines infligées semblent moins sévères qu'avant.  Par exemple Damani qui complote pour transporter 300 migrants venus de l'Inde et du Pakistan est comdané à 4 ans de prison pour avoir enfreint les lois d'immigration américaines et le code criminel et son comparse Kidri doit effectuer 160 heures de travaux communautaires en plus de son emprisonnement pendant les procédures.

En Europe, l'accord de Schengen prévoit la suppression graduelle des controles entre les pays européens et les mesures répressives pour les transporteurs et les employeurs.  La convention de Dublin détermine lequel des états européens est responsable de l'examen de la demande d'asile.  Mais la Cour de Justice de l'Union Européenne indique qu'en 2010 la Grèce était le point d'entrée dans l'union de 90 % des migrants illégaux, imposant une charge lourde à cet état.

Pour plus d'informations sur le sujet, procurez-vous le volume 46 No 1 de la revue Criminologie, Presses de L'Université de Montréal, ISBN 978-2-7606-3185-4.  Ce numéro peut être commandé par votre libraire mais si vous voulez un abonnement : PUM, abonnements, 3744 Jean Brillant, local 6310, Montréal, Canada, H3T 1P1  tel.514-343-6933, fax 514-343-2232 37$ par an pour 2 numéros.